Tiago Martins, passion Histoire et Gastronomie portugaise

Pour ce nouvel épisode j'ai eu le plaisir de recevoir Tiago Martins à mon micro que vous connaissez peut-être mieux sous le pseudonyme de “Portuguese Facts”.  Tiago est né en France à Paris et c'est dans les beaux quartiers de la ville qu'il débutera sa scolarité teintée de préjugés d'exclusion et parfois de racisme à cause de ses origines portugaises. Le fils de la gardienne de la femme de ménage continuera malgré tout ses études jusqu'à obtenir son diplôme d'ingénieur. Expatrié en Asie, c'est finalement loin des siens qu'il réalise l'attachement profond à ses racines et à l'histoire de sa famille. Ce déclic sera à l'origine de ces nombreuses initiatives autour du Portugal : son village de Barrenta transformé en lieu créatif et artistique en plein air, la création de vidéos YouTube pour faire découvrir les richesses et les curiosités de son pays, un compte Instagram à succès avec des brèves mélangeant histoire traditions et gastronomie portugaise et plus récemment la création d'un livre historico-gastronomique “L’histoire du Portugal dans mon Assiette” édité par Cadamoste Editions.

Tiago a accepté de se livrer à mon micro avec beaucoup d'enthousiasme et a profité de cet espace libre pour faire passer quelques messages qui lui tenaient à cœur. Quand la nouvelle génération fait briller le Portugal c'est avec beaucoup de sincérité, de fierté et d'amour peu importe les kilomètres qui les séparent de leur petit Portugal. Je vous laisse découvrir le récit de Tiago et até jà !

Tiago Martins, de Portuguese Facts à auteur du livre “L’Histoire du Portugal dans mon Assiette”

Je suis Tiago Martins, j'ai 31 ans, j'habitais Paris jusqu'à très récemment et j’ai quitté Paris pour la banlieue parisienne parce que c'est impossible de vivre à Paris avec un bébé que je viens d'avoir il y a peu.

Je suis fils de parents portugais qui ont émigré en France pour une vie meilleure, j'ai une sœur et on me connaît sous le pseudonyme de Portuguese Facts parce que j'ai créé un compte Instagram, Facebook et YouTube pour partager plein de petites anecdotes autour de la culture portugaise que ça soit de l'histoire de l'art, des monuments, des légendes, de la gastronomie,... Et grâce à ce compte j'ai été contacté par Cadamoste Editions pour écrire un livre qui s'appelle “l'Histoire du Portugal dans mon Assiette”, c'est un livre historico-gastronomique qui mêle des recettes de cuisine que des chefs portugais du monde entier m'ont confié et que j'accompagne d'anecdotes historiques pour inviter les gens à être curieux et à connaître l'Histoire du Portugal à travers les recettes du pays.

Le village de Barrenta mis en lumière par un projet artistique lancé par Tiago Martins

Je suis d'origine portugaise mais au fond de moi je suis portugais, je me sens portugais. Je dis toujours aussi “d'origine portugaise” mais je me sens portugais et français donc ce n'est pas simplement une origine, c'est vraiment ce que je suis. Je suis originaire d'un petit village d'une trentaine d'habitants au centre du Portugal dans la municipalité de Porto Mós, dans le district de Leiria, entre Fatima et Nazaré. J'ai vraiment une passion pour ce village et en dehors de toutes mes activités de promotion de la culture portugaise je mets en place des initiatives pour promouvoir mon village. J'ai notamment créé un projet de street art tout seul, sans appui ou sponsor. J'ai invité des artistes du monde entier à m'envoyer des petits objets de street art, des sculptures, des peintures, des “azulejos” et je les ai collés dans mon village. Il y a même des artistes qui sont venus peindre des fresques dans le village ! Je référence sur Google Maps les points d'intérêt du village, j'ai une histoire particulière avec ce village qui est Barrenta.

L’arrivée en France depuis le Portugal

Mes parents sont arrivés en France mais avant ça mes grands-parents avaient tenté l'expérience en France en laissant mes parents au Portugal. Mon grand-père paternel avait tenté l'expérience et avait travaillé dans les bidonvilles de Champigny mais il n’est pas resté longtemps et il est vite retourné au Portugal. Du côté maternel, mon grand-père a fait les guerres coloniales en Angola et après ça il est arrivé en France. Malheureusement, ils ne sont plus là, je n'ai plus que ma grand-mère paternelle qui elle, est toujours restée au village. Je n'ai pas pu échanger avec eux, ce n'est que trop tard que je me suis intéressée. Ils n’étaient plus là malheureusement mais j'ai le souvenir de mon grand-père qui m'avait dit qu'il était arrivé en France sans semelles, pieds nus, parce qu’il était venu en France à pied. Du coup, je n'ai pas vraiment de souvenir de leur immigration à eux. En plus y a une certaine pudeur ou modestie. C'était très dur, le travail était difficile. Il me semble que mon grand-père avait travaillé dans les mines de Champignons de Paris donc cueillir des champignons de Paris dans des conditions compliquées. Il avait été maçon comme quasiment tout le monde pendant qu'ils avaient laissé ma mère au Portugal auprès de mes arrières grands-parents. Ils sont restés quelques années et ils sont retournés au Portugal dans les exploitations des fermes familiales et les années sont passées.

Mon père arrivant à l’âge d'adolescence, les guerres coloniales étaient en cours alors mes grands-parents paternels ne voulaient pas qu'il parte faire la guerre coloniale donc ils l'ont envoyé pour faire “profil étudiant” en France. Il est arrivé en plein “mai 68” en France et il a été vivre auprès de de mes tantes et oncles. Je ne connais pas très bien cet aspect là, il faut que j'en discute avec mes parents. Je ne connais pas très bien cette histoire de l'immigration de mon père, je sais que ça a été compliqué. Il m'a parlé du train à Hendaye qui a été bloqué, il était très jeune, il était mineur et il m’a parlé un peu du Visa d'étudiants qu'il fallait renouveler tous les ans. C'est une histoire familiale et comme beaucoup d'entre nous qui écoutons le podcast, on doit enquêter, on doit poser des questions avant qu'il ne soit trop tard. Je compte prendre le temps prochainement avec mes parents pour discuter de ça, de leur arrivée en France.

L’immigration portugaise en France

Ma mère est arrivée plus tard et mon père s'est marié avec ma mère au Portugal. Elle s'est mariée à 16 ans et après ils sont venus vivre à Paris dans un studio minuscule. Quand elle était enceinte de moi, elle est devenue gardienne parce qu'ils avaient besoin d'un appartement pour pouvoir accueillir leur premier enfant et ensuite ma sœur, alors on a vécu dans une loge de gardienne. Elle est toujours gardienne d'ailleurs dans les beaux quartiers de Paris, dans le quartier des Ternes dans le 17ème arrondissement.

Par rapport à l'immigration et les histoires d'immigration j'en avais discuté parce que depuis peu je m'intéresse à ça et à mon histoire familiale. J'ai deux oncles qui ont des histoires d'immigration différentes dont un qui est venu “à Salto” dans un camion caché dans un camion de bétail jusqu'en France et y en a un autre qui est arrivé légalement en France. ça m’avait marqué, il était issu d'une grande famille et ils étaient 7 frères et sœurs je crois et son père avait écrit à Salazar ou plutôt au “Estado Novo”. Il leur a dit qu'il avait trop d'enfants, que c'était la misère et qu'il ne pouvait pas tous les nourrir, il a donc demandé légalement l'autorisation de partir en France pour travailler. Mon oncle est arrivé en France avec son père légalement avec l'autorisation de l'état portugais pour venir travailler parce que son père ne pouvait pas subvenir à leurs besoins au Portugal. C'est pour ça que c'est vraiment super intéressant de s'intéresser à ces histoires d'immigration. Et j'invite tout le monde à en discuter, à venir te voir pour raconter leurs histoires parce qu’il y a vraiment des parcours de vie qui sont incroyables !

C'est à nous aussi, les nouvelles générations comme toi tu le fais, et comme d'autres le font, de mettre en avant leur histoire. Justement, ce qui me fait bizarre c'est que le monument à Champigny qui rend hommage à cette période là, c'est un politique français qui est représenté… Donc le monument qui rend “hommage à notre immigration portugaise” , c’est un politique français qui est dessus et même pas un portugais. Ce n'est pas une critique, c'est très louable d'avoir fait quelque chose mais pourquoi on n'a pas un monument avec un portugais ou un monument en l'honneur des portugais ?

Apparemment c'est en train de changer, il y a des discussions en cours pour un truc l'année prochaine dans le cadre du 25 avril, on va voir mais enfin il serait quand même temps que la contribution que l'immigration portugaise a eu pour la France et pour le développement de la France soit mise à l'honneur.

Une bulle portugaise, à Paris

Dans mon enfance, le Portugal était quand même pas mal présent, ne serait-ce que dans mon assiette ! Ma mère est une cuisinière formidable et cuisinait beaucoup portugais. Donc c'était présent dans mon assiette, et à l'époque où les chaînes portugaises étaient disponibles gratuitement sur les box. Mes parents regardaient un peu RTP mais après au fil des années ça s'est arrêté parce que c'était des options payantes et demander à un portugais de payer ne serait-ce que deux euros pour une option à la télé c'est inconcevable donc on n’avait plus RTP. Dans une moindre mesure aussi, mon père a quand même été un peu dans le milieu associatif à droite à gauche donc j'ai le souvenir d'aller dans des associations portugaises et de faire des petits matchs de foot, aller manger dans l'association… Et tous les repas de famille aussi parce qu’avec mes oncles et mes tantes qui étaient là, on se retrouvait entre portugais. À l'école, mon cercle d'amis c'était les portugais donc quand j'allais manger chez mes amis c'était des amis portugais. J'ai vraiment vécu un peu dans une sorte de bulle portugaise toute ma jeunesse.

Expatrié et la “saudade” du Portugal

Après le brevet, quand je suis arrivé au lycée c'était autre chose parce que là j'étais plus dans une mixité, avec des gens de diverses origines donc ça a changé. Justement, pendant le lycée je faisais pas mal de “conneries”, je séchais, mes bulletins scolaires c'était vraiment une catastrophe entre mes avertissements de travail, de conduite, l’exclusion… j'ai eu une scolarité un peu un peu particulière mais j'étais moins dans cette bulle portugaise, j'étais plus ouvert. J'ai fait une licence pro en alternance et j'ai commencé à travailler dans le secteur énergétique. Via ce travail, j'ai eu l'occasion de beaucoup voyager et encore aujourd'hui d'ailleurs je suis toujours dans le même secteur. J’ai été expatrié pendant plus d'un an en Asie donc j'ai fait l'Inde, Singapour, l'Indonésie,... Quand j’ai été expat’ j'en ai profité pour voyager du côté perso donc j'étais en Malaisie plusieurs fois, j’ai été à Macao, en Thaïlande, au Vietnam, en Asie du sud-est et même après en Europe j'ai fait beaucoup de capitales européennes. J'ai beaucoup voyagé, je suis quand même ouvert au monde, j'adore voyager mais il n’y a aucun endroit où je me sens aussi bien que dans mon petit village portugais. C'est fou, c'est vraiment dans moi, je ne sais pas. Quand je suis au Portugal c'est autre chose, pourtant j'aime la France, j'aime Paris mais quand je suis au Portugal je ne sais pas il y a un truc ! C'est vraiment dans moi, au plus profond de moi, c'est là-bas que je me sens bien.

Parler le portugais en France

Pour l'apprentissage de la langue portugaise, j'estime pas non plus avoir un portugais fantastique mais j'ai quand même un bon niveau. On me le dit souvent d'ailleurs C'est une des réflexions qui me fait rire quand je suis au Portugal souvent, qu'on soit surpris de mon niveau de portugais. Ça me fait bizarre parce que sous prétexte que je sois né en France, un fils d'immigrés, ils comprennent pas que je puisse avoir un bon niveau de portugais. Pour moi le portugais est important ! En primaire, j'ai été à l'école portugaise, au collège, j'allais au portugais jusqu'au lycée, au bac. J’allais dans une école portugaise privée parce que c'est très compliqué malheureusement de faire du portugais dans le public et donc ça m'a permis aussi de connaître beaucoup de monde. C'était tous les samedis, on y allait quatre heures avec des cours d'Histoire et des cours de langue. Et ça m'a permis de connaître beaucoup de monde et de lier des amitiés fortes que j'ai encore aujourd'hui.

En discutant, une anecdote me revient en mémoire. En primaire, comme j'était un élève un peu moyen, les professeurs ont dit à mes parents que pour mon bien il fallait que j'arrête d'apprendre le portugais. C'est vraiment typiquement français ! Avec le recul, je me demande comment on peut dire ça. Comment peut-on dire à un enfant que ça serait bien pour lui qu'il n'apprenne pas une langue ? Mes parents l'avaient écouté et pendant une année, je n'ai pas fait de portugais .

Les voyages au Portugal en voiture

On allait en général deux fois par an au Portugal, en avril et en août bien sûr comme 90% des portugais. Quand j'écoutais le podcast d’Olivier Afonso qui parle justement de ce voyage en voiture, je me suis retrouvé dans ce qu'il disait. Tout le monde l'a vécu ce voyage en voiture, je me souviens que c'était tout une expédition, une aventure. Au mois d'août, on partait quatre semaines donc il fallait charger les valises, il y avait beaucoup de trucs dans le coffre, c'était vraiment le cliché ! Moi, j’en garde vraiment un très très bon souvenir de de ces voyages en voiture. Justement, cette année pour le mois d'août j'ai décidé d'y retourner en voiture parce qu’en plus avec le bébé c'est quand même plus pratique pour transporter la poussette et donc je vais renouer avec la tradition.

Le racisme envers les portugais à l’école

La cage dorée je trouve que ça c'est quand même un peu ma vie parce que j'ai grandi dans les beaux quartiers et il y a beaucoup de choses qui ont fait ce que je suis aujourd'hui, qui m'ont forgé. Avec mes amis, on a grandi entre portugais parce qu’on ne se mélangeait pas. Il y avait vraiment une discrimination sociale entre les portugais : les fils de gardiennes et de femmes de ménage et les autres. Mais dans ma scolarité, notamment au collège ça été très difficile et encore plus pour ma sœur. On va prendre des gros guillemets mais il n’y avait pas de de “noirs” ni “d'arabes” donc les étrangers étaient les portugais. Il y avait des “français” et il y avait des “portugais”. On était tous entre nous puisqu'on ne pouvait pas trop se mélanger, ce que l’on pourrait considérer comme de la xénophobie, du racisme. Avec le recul, ça m'a forgé et ça m'a endurci mais il y a des gens que j'ai vu se laisser abattre à propos de toutes les réflexions que l'on prenait.

J'ai plein d'exemples mais je me souviens par exemple d'un jour où mes parents vont me faire plaisir et m'acheté un pull Diesel, c'était la marque à la mode à l'époque. Quand je suis arrivé au collège, la première chose que les autres élèves ont fait c'est de venir voir l'étiquette et me dire que c'était un faux parce que ce n'était pas possible qu’un portugais ait les moyens d'acheter ça ! Des réflexions comme ça y en a eu des tonnes, je me souviens de voir une amie à qui on disait que pour la fête des mères “on va t'offrir un rasoir, on sait que tes parents n’ont pas les moyens de l'acheter”. C'était des réflexions très dures et pourtant je suis né dans les années 90, donc c'était dans les années 2000, c'était hier !

Les difficultés à accéder à des études générales

Dès la 4ème, on me disait qu’il fallait que j'aille dans le bâtiment avec une 3ème spécifique. Je n'étais pas un élève très mauvais mais je n'étais pas un très bon élève, un élève moyen et un peu cancre. Je sais que j'avais du potentiel mais je m'étais laissé un peu abattre et donc du coup je m’étais mis en tête qu’il fallait que j'aille dans le bâtiment comme quasiment tous mes amis. Il n’y en a qu'un seul qui a fait des études générales mais sinon on devait obligatoirement aller dans la filière professionnelle. C'est très bien, je n'ai aucun mépris envers n'importe quel métier, j'étais prêt à aller dans le bâtiment. Le déclic a été une parent d'élève (le cliché de la “catho”) qui voulait m’encourager et qui a appelé mes parents. Elle a dit à ma mère “non, ce n'est pas normal que Tiago aille en section professionnelle, il a quand même des notes pas mal, il y a des élèves qui ont des notes moins bonnes et qui vont aller en filière générale” et miraculeusement ça a encouragé ma mère à m'inscrire en filière générale. Ma mère, c'est la maman portugaise gardienne qui qui fait ce qu'on lui dit mais là, je ne sais pas, elle s’est sentie pousser des ailes. J'ai donc rempli mon dossier papier pour faire une des études générales que j'ai remis à ma professeur principal. Je me souviens très bien de ça, ce sont des choses qui m’ont marqué puisqu’elle m'a dit que je faisais une grosse erreur et que ça ne marcherait jamais ! J'ai demandé des lycées modestes car je savais très bien que je n'avais pas le niveau pour faire des grandes écoles. Elle me l’a presque jeté à la figure en me disant que c'était une grosse erreur parce que la plupart de mes amis, eux, avaient accepté de faire une filière professionnelle. Et après, aucune réponse, aucune affectation : mon dossier avait disparu ! Aucune trace de moi au rectorat ni rien du tout. On est partis en vacances sans que j'ai d'affectation…

On revient des vacances et j'avais eu une affectation dans “le lycée poubelle de Paris”, celui où on a envoyé tous ceux qui n’avaient pas d'école. C'était dans un quartier un peu dur de Paris, mes parents ont envisagé de mettre dans le privé parce qu’il y avait pas mal de faits divers qui s'étaient déroulés. Mais au final c'est la meilleure chose qui ait pu m'arriver dans la vie ! Je passais du “portugais” qu'on met de côté à un des seuls “blanc” qui venait du XVIIème donc j'étais forcément riche ! Voilà, ça a été un grand écart social et au final ça s'est très bien passé. J'ai fait un bac technique STI puis un BTS dans le même établissement. J'ai continué sur une licence pro, j'étais un peu un cancre partisan du moindre effort mais j'ai mes diplômes .

Les clichés sur les portugais : encore trop actuels !

Si je reviens brièvement sur le collège, ma petite sœur étant une fille ça a été encore plus compliqué pour elle. Elle a eu énormément de réflexion. Par exemple à la fin du sport, les élèves qui jetaient les maillots en disant que c'était à elle de nettoyer ou en jetant des papiers par terre devant elle pour qu'elle fasse le ménage. C'est ma petite sœur donc c'est encore plus récent ! Et ça l'a profondément marqué, elle rentrait de l'école en pleurant. C'était dur, je suis allé devant le collège en scooter avec la capuche, faire voir le voyou pour intimider un peu les élèves qui l’emmerdaient. Bien sûr, je n’allais surtout pas frapper un enfant, ils ne sont pas sortis, ils sont restés à l'intérieur. Je suis revenu le lendemain, ils sont sortis en courant ça s'arrêtait là, il ne s'est rien passé. Après ça, ma mère a été convoquée par la CPE au collège qui lui a dit que j'avais interdiction de venir chercher ma sœur. Ma mère s’est un peu énervée en expliquant la situation à la CPE et elle n'a rien trouvé de mieux à dire que “oh mais ce sont des enfants, il ne faut pas faire attention à ce qu'ils disent”. Donc voilà aucune répercussion, la vie est passée par contre ma sœur on le sent dans son parcours scolaire, ça l’a quand même affecté. Elle a un peu assez baissé les bras et s'est laissé aller alors que moi ça m'a rendu un peu plus fort. Ce qui est affolant c'est que je reçois des messages de mamans sur les réseaux sociaux qui disent que leurs enfants encore aujourd'hui subissent des réflexions méchantes de la part de collégiens par rapport au fait d'être maçon, femme de ménage, poilue enfin tous les clichés.

Un autre Portugal avec Portuguese Facts

C'est aussi pour tout ça que mon compte Instagram PortugueseFacts est né. J'avais vraiment un ras-le-bol de tous ces clichés et ce qui m'énerve encore plus c'est que nous-mêmes portugais on les entretient ! On fait de l'humour avec ça ,c'est très bien il faut de l'humour, de l’auto-dérision mais c’est trop. Moi qui avais vécu vraiment tout ça, ça m'emmerdait qu'on continue d'en parler et surtout que nous-mêmes on tende le bâton pour se faire battre ! C'est pour ça que j'ai voulu proposer autre chose que de la caricature et les clichés graveleux, pour que des gens puissent se retrouver dans un autre Portugal. Tout ça, je n'ai jamais eu l'occasion de le dire publiquement. Au début de mon compte, à la sortie d'un film au cinéma que je n'avais pas apprécié, j'avais écrit une lettre ouverte à destination de la communauté portugaise pour faire part de mon ras le bol de tous ces clichés et on m'avait reproché de faire de la victimisation. Il fallait passer au-dessus, savoir rigoler mais ce n'est pas de la victimisation c'est qu’à un moment il faut dire stop ! J'ai vu d'autres personnes baissé complètement les bras et se dire “je vais rester à ma place, je ne vais pas essayer de grimper l'ascenseur social” ! C'est important, et s’il y a des mamans ou des enfants qui m'écoutent et qui entendent ces témoignages, il faut réagir et ne pas se laisser abattre.

Transmission de la valeur travail

En ayant grandi avec mes parents, Il y a quelque chose de très important qu’ils m'ont transmis : c'est la valeur du travail. Parce que depuis tout petit, c'était normal d’aider ses parents. “Aller faire les bureaux”, mes parents étaient responsables du ménage dans des bureaux dans le quartier, j'allais avec eux le soir pour vider les poubelles, passer l'aspirateur,… En été quand ils faisaient des remplacements de loge, il fallait que je les aide donc j'allais faire la permanence dans des loges, j'ai passé  l'aspirateur dans les escaliers, sorti les poubelles,… Je me souviens, c'était très dur parce que c'était à 5 heures du matin, en période d'été, avec les remplacements ils avaient 6, 7 immeubles à s'occuper donc on sortait toutes les poubelles, c'était lourd. Va faire comprendre ça à un gamin de 16 ans qui veut juste dormir et jouer aux jeux vidéo, qu'il doit se lever à 5h30 pour sortir les poubelles ! Je le faisais, c’était important d'aider. J'ai toujours eu cette cette notion du travail, j'ai toujours cumulé les boulots, il y a des moments j'ai cumulé 3, 4 travail en même temps. Même quand j’ai commencé à gagner ma vie avec mon CDI, je travaillais à côté : au mcdo, j'ai travaillé en tant que guide touristique en 2CV à Paris, dans un restaurant en tant que serveur, jardinier,… j'ai fait tout un tas de trucs qui m’ont enrichi. Cette valeur travail qui m'a été transmise par mes parents, c'est vraiment quelque chose qui m'a forgé.

Visiter le Portugal et sortir du village

J'ai toujours eu soif d'aventure ! Petit, quand j'étais au village, j'ai quand même le souvenir de longues périodes d'ennui, il n’y avait pas internet, pas de télé. Enfin si, il y avait la télé chez mes grands-parents mais les programmes portugais ne me plaisaient pas du tout. Je passais mon temps à faire du vélo et un peu plus tard de la moto puisque mon père avait les vieilles monacales, les vieilles Zündapp donc je me souviens toujours de faire de la moto. Mes vacances étaient rythmées entre la moto, le vélo et les fêtes de village un peu partout. J'avais toujours envie d'aller voir autre chose, d'aller voir des monuments, je suis originaire d'une région où il y a “o Mosteiro da Batalha” mais on ne faisait rien et moi ça me frustrait. Je passais devant en voiture, je regardais et j’avais envie d’y aller. Mais il n’y avait jamais le temps parce qu'il fallait manger à tel endroit, il fallait voir tel ou telle personne de la famille. Dès que j'ai eu le permis je me suis plus jamais arrêté. Parfois, on partait en vacances et mes parents ne me voyaient quasiment jamais parce que j'étais toujours à droite à gauche, j'allais voir des trucs. Je pouvais faire l'aller-retour à Castelo Branco pour aller voir une amie et aller visiter là-bas. C'était non-stop, j'allais voir des trucs tout le temps. Encore aujourd'hui, je leur dis qu’il faut quand même sortir du village. Je reproche aussi aux gens de ma génération de se contenter en vacances d'aller au village, d'aller au café, à la plage et de ne pas s'intéresser à ce qu'ils ont autour de chez eux. C'est important, il faut le faire, il faut se bouger et être curieux. Il y a énormément de choses à découvrir au Portugal !

Le Portugal : du moyen-âge à la modernité !

Il y a quelques années, on allait au Portugal et on a pris l'avion tous ensemble en famille, avec mes parents et ma sœur. On est arrivé à Lisbonne donc au lieu d'aller au village, on est allé faire un petit tour à Lisbonne parce qu'en plus je connais très bien, je suis amoureux de cette ville au même titre que Paris. On a fait les endroits touristiques, on s'est baladés, c’était la période des fêtes avec les décorations de Noël, c'est magnifique ! Ils étaient impressionnés et ça m’a fait rire de faire découvrir à mes parents le Portugal. Ils étaient surpris car Lisbonne est une capitale européenne au même titre que toutes les autres, ils avaient cette image du Portugal encore pittoresque et ne s'attendait pas à ce que Lisbonne soit si moderne et si animée. Je les ai sentis un peu bouleversés de se dire que le Portugal ce n'est pas le Moyen-âge. D'ailleurs je trouve que cela a beaucoup nuit à l'image des portugais en France, ce n'est pas une critique mais la génération de nos parents a émigré, a quitté le Portugal au moment où c'était dur et un pays qui n’était pas développé, où il y avait beaucoup de misère. Ils sont partis avec cette image du Portugal figé dans le temps. Ils n'ont pas réalisé que le pays continuait d'évoluer pendant tout le temps où ils étaient en France, il y a eu des rénovations, les villes ont continué de bouger et eux sont restés avec cette image du Portugal pittoresque. J'ai parlé de Lisbonne mais Porto est en pleine mutation, Braga, toutes les grandes villes sont complètement changées. Je m'intéressais à l'histoire de mon village Barrenta et sur les réseaux sociaux et il y a quelqu'un du village qui avait partagé une frise chronologique des évolutions du village. C'est fou mais quand j'y repense, ma mère qui est née en 67, quand elle était petite au village, elle n'avait pas l'électricité. Ma mère a grandi sans électricité qui n'est arrivé que dans les années 70. Le Portugal avait tellement de retard que tout est arrivé très vite entre les années 70 et aujourd'hui : il y a eu les routes goudronnées, le téléphone, l'électricité, l'eau et maintenant il y a la fibre ! Tout ça s'est fait en un laps de temps qui à l'échelle de l'Histoire n'est rien. Tout ça s'est fait très vite et donc du coup les gens n'ont pas pu suivre, la génération de nos parents n'a pas eu conscience de toute cette modernité en si peu de temps.

Grandir avec une double culture en France

Mon lien avec le Portugal a évolué au fil des années sans que je m'en rende compte. Quand j’étais plus jeune, je n'avais pas conscience de cette double culture, de ce double attachement parce que pour moi c'est tout à fait normal ! Au mois d'avril et au mois d'août, on allait au Portugal, à la maison c'était le portugais donc je n'avais pas forcément conscience de cette spécificité que c’est d'être franco-portugais. Arrivé au lycée, je me suis un peu détaché de ça bien que toutes mes soirées étaient au “Saint Cyr Palace” pour ceux qui ont connu ce bar, c'était mon fief ! Dans une moindre mesure j'allais à “La Costa del Sol” ou “La Loco” mais ce lien avec le Portugal était différent au fil des années.

L’expatriation qui donna naissance à Portuguese Facts

C'est en expatriation que j'ai eu un déclic. Quand j'étais en Asie du sud-est, à Malacca, il existait un quartier des portugais avec des descendants de portugais d’il y a plus de 500 ans. J’ai été à Macao et même à Singapour où j'ai découvert des liens entre le Portugal et l’Indonésie. Je me suis dit “c'est quand même fou l'importance qu'a eu le Portugal dans le monde”! C'est vraiment là que j'ai eu le déclic de me dire que je devais faire quelque chose en lien avec le Portugal. Donc à l'époque, j'avais commencé à essayer d'enregistrer des vidéos pour faire un format Youtube d'anecdotes sur l'Histoire du Portugal mais c'était un échec total donc je les ai jamais publiées. Quelques années plus tard, j’avais envie de dire que j’étais vraiment fier d'être portugais mais pas simplement de se dire “oui je suis fier d'être portugais pour le foot et pour les fêtes de villages,…” mais vraiment en tant que nation, en tant qu’héritier de cette Histoire. C'est vraiment en étant expatrié que je m'en suis rendu compte. Je “m'emmerdais” un peu parce que j'étais tout seul, à l'autre bout du monde donc j'avais le temps de réfléchir et j’ai créé PortugueseFacts sur les réseaux sociaux.

Mes posts sont des petites anecdotes de quelques lignes avec toujours la source ou un lien qui indique où j'ai pioché mes informations parce que j'invite toujours les gens à vérifier ce que je dis. Je publie en portugais, français et anglais même si le public anglophone est vraiment une minorité. J'ai commencé comme ça et je continue avec cette logique des trois langues puisqu'en plus c'est ce qui a fait que le compte s'appelle PortugueseFacts donc ce sera un peu bête d'enlever l'anglais. J'avais envie de partager une autre vision du Portugal, que les gens soient curieux et s'intéressent à l'Histoire et aux anecdotes autour du pays. J'ai choisi Instagram parce que je suis un trentenaire et c'est ma génération qui utilise ce média. J'aime bien ce ce format rapide, de quelques lignes pour présenter avec une petite photo. Je relaie maintenant aussi sur Facebook mais les gens critiquent tout le temps ! Par exemple dans dans le cadre du compte PortugueseFacts j'avais organisé un crowdfunding (une collecte de fonds) pour financer l'achat de reliques de la première guerre mondiale de soldats portugais pour en faire don au musée de Porto Mós qui est la municipalité de mon village. Je pouvais le payer de ma poche, ce n'était pas une question d'argent mais c'était vraiment que j'avais envie que ce soit une initiative collective, que les gens participent avec moi pour montrer que les portugais de France peuvent s'impliquer dans des projets comme ça sans faire partie d’une association, sans faire partie de quoi que ce soit, juste une initiative citoyenne. J'ai quand même partagé la cagnotte sur Facebook et là j'ai eu des commentaires de “vieux” qui disaient “va travailler” ou qui critiquaient l’initiative. Ils ont quand même du culot mais toutes ces critiques c'est uniquement sur Facebook. Qu’ils ne soient pas d'accord je peux le comprendre mais dire que je fais n'importe quoi sans argumenter derrière…

J'ai essayé aussi un peu Youtube parce que j'adore ce format et je me suis fait connaître grâce à un partenariat que j'ai fait parce que je ne me sentais pas capable de me lancer. J'ai contacté des youtubeurs en proposant d’écrire un scénario qui parle du Portugal. J'écris, j’envoie les sources pour vérifier et j’ai eu trois partenariats avec des gros youtubeurs dont un qui a plusieurs millions d'abonnés, c'est vraiment ça qui a qui m'a amené beaucoup de visibilité. Il a été “réglo”, il a cité mon compte instagram et donc ça a amené une audience. J'ai fait quelques vidéos de mon côté, j’étais très content du résultat, la qualité selon les vidéos n’est pas toujours au top mais j'aimais bien l'idée et le concept. Mais c'est très chronophage, ça me demandait une semaine de boulot minimum pour faire une vidéo de quelques minutes et du temps je n'en n’ai pas, j'ai mon travail, j'ai ma vie de couple, j'ai ma vie de papa maintenant donc voilà mon problème c'est plus le temps que l'envie ou l'énergie.

Portuguese Facts : une cible qui renoue avec ses origines !

Les retours que j'ai sont toujours positifs et ils me rendent fiers parce qu’il y a des gens qui m'envoient des messages, des trentenaires comme moi qui s'étaient éloignés de leurs origines parce qu'ils ne se retrouvaient pas dans la vision qu'on donnait du Portugal et des portugais sur les réseaux sociaux. Que ce soit les caricatures ou le folklore, il en faut pour tout le monde mais si pour être portugais en France il fallait soit danser du folklore soit faire des parodies et bien il y a des gens comme moi qui ne se retrouvaient pas forcément dans ça et qui s'éloignaient de leurs origines portugaises. Recevoir des messages de gens qui justement se réintéressent grâce à mon compte à leurs origines portugaises ou parfois même des gens qui découvrent un monument, une légende du village à côté ou de leur propre village qu’ils ne connaissaient pas, ça me rend extrêmement fier. D'un côté je me sens même (ça fait prétentieux), mais je me sens limite investi d'une mission de prêcher la bonne parole. Soyez fiers d'être portugais, intéressez-vous à vos origines ! Des fois, je vois juste un petit message d’une personne qui me dit “bonjour, juste pour te dire que j'ai appris ça de mon village, j'ai été visité ça grâce à toi” et bien moi j'ai limite la larme à l'œil ! Je me dis, je ne fais pas ça pour rien, et des messages comme ça, j’en reçois vraiment beaucoup donc j'en suis vraiment très fier et très content. Il y a aussi d'autres moments où ce sont des jeunes parents ou des enfants qui me disent “je vais dire ça à mes parents ils ne le savaient pas, ils sont surpris de l'avoir appris” donc je suis vraiment très content de ce compte instagram. Et en plus ce que j'aime c'est que c'est rapide et adapter à notre consommation des réseaux, c'est une invitation à être curieux et ça m'a ouvert des portes notamment l'opportunité d'écrire un livre !

Le projet du livre avec 60 recettes de chefs portugais

Ce livre c'est la continuité de mon compte Instagram. Les gens achètent facilement un livre de cuisine mais pas forcément un livre d'Histoire, ce que je peux comprendre parce que les livres d'Histoire c'est pas toujours sympa à lire, moi j'en lis beaucoup mais il y en a vraiment qui sont chiants. J'aime bien me définir comme un vulgarisateur culturel parce qu’on peut me reprocher de ne pas forcément approfondir ou de ne pas être très pointilleux ou de prendre des raccourcis mais mon but c'est vraiment de titiller la curiosité. C'est aux gens ensuite d’approfondir, je ne suis pas historien, je n'ai jamais dit que je l'étais. Les gens ont comme ça une petite porte d'entrée à travers le livre de cuisine vers l'Histoire du Portugal et la culture du pays.

Ce n’est pas juste un livre de cuisine, c'est plus que ça. C'est un peu un livre universel de la communauté portugaise parce que dedans il y a le côté humain, je me livre beaucoup sur mon histoire, sur mes souvenirs dans les fermes de mes grands-parents avec les chèvres quand j’allais accompagner mon grand-père déposer le lait à la coopérative, ramasser les patates, faire de l'huile d'olive,… Tout ça, ce sont des souvenirs que je partage et on est nombreux à avoir les mêmes donc je suis sûr que beaucoup de personnes de ma génération ou même d'autres générations se retrouveront dans ce que je dis. Il y a le côté Histoire avec toutes les anecdotes que je raconte et il y a aussi des paragraphes pour rythmer un peu le livre avec des chapitres où je parle un peu plus en profondeur de l'influence des découvertes maritimes, l'influence de l'état nouveau, l'influence de la religion,…

Les recettes ce sont des chefs du monde entier, de la diaspora des chefs portugais avec plus de dix pays qui sont représentés, de Macao au Brésil, aux Etats-Unis, en Angola, en France et au Portugal bien évidemment. Des chefs que j'ai démarché avec l'aide de mon éditrice Sandra (Canivet), certains que je connaissais personnellement et pour d’autres dont  je suivait le travail sur les réseaux sociaux. Je leur ai demandé, beaucoup ont joué le jeu et il y en a qui ne m'ont jamais répondu. Il y en a qui m'ont dit oui et malgré plusieurs relances, ils ne m'ont jamais rien envoyé donc ça été compliqué. Soixante chefs ont participé à ce livre : on retrouve des recettes avec des soupes, des plats de viande, de poissons, des desserts, des pâtisseries et même des cocktails. Pour moi c'était très important aussi car on a la chance d'avoir quand même beaucoup de spiritueux de qualité, des vins de qualité et donc je voulais les mettre aussi à l'honneur. Je consacre un chapitre entier sur les petites histoires autour de des spiritueux portugais et y a des recettes de cocktails pour pour montrer que le Porto ce n'est pas forcément la boisson de grand-mère qui est au fond du placard plein de poussière ! On peut en faire des cocktails sympas.

C'est très important pour moi de rendre hommage aussi à mes parents. Dans le livre, il y a une recette simple avec des sardines grillées et une salade de poivrons. Cette salade de poivrons (que je digère mal), tout le monde en dit du bien et et pour moi c'était vraiment important de rendre hommage à mes parents et de les inclure dans le livre parce que cette passion de l'Histoire me vient essentiellement de mon père et la passion de la cuisine de ma mère. Je voulais vraiment les mettre à l'honneur dans le livre. Et ce plat des sardines grillées et des poivrons, j'en ai vraiment de très bons souvenirs parce que c'était les vacances : mon père au barbecue en train de griller les poivrons et les sardines et ma mère qui préparait tout ça. C'est un moment de partage qui était très important et dont je garde un très bon souvenir.

J'avais fait des sondages pour demander quelles étaient les recettes que les personnes souhaitaient retrouver dans le livre et sans surprise il y en a deux qui ressortaient c'est Bacalhau à Brás et Carne de Porco à Alentejana. J'avoue que même moi ce sont mes deux plats préférés mais j'ai quand même un petit penchant pour le Bacalhau à Brás, c'est vraiment un plat réconfortant.

La cuisine du Nord de la France qui rencontre la cuisine portugaise…

Ma copine qui est française et qui n'a aucun lien avec le Portugal, a eu du mal à adapter son palais à la cuisine portugaise ! En plus elle est ch’ti, j'adore la cuisine du nord, je me régale mais ce n'est pas du tout les mêmes codes ne serait-ce que la cuisine au beurre et cuisine et à l'huile d'olive. Maintenant elle adore la cuisine portugaise mais au début c'était compliqué parce que ce sont des goûts très “francs”, il n’y a pas des tonnes d'ingrédients mais on doit les sentir donc c’est très généreux. Elle avait du mal : quand on met du sel on met du sel, quand on  met de l’huile d’olive, on met de l'huile d'olive. Elle avait limite de l'hypertension après avoir mangé un plat portugais mais maintenant elle s'est habituée, elle trouve encore que ma mère met beaucoup de sel dans les plats mais moi j'adore ça et son palais s'est quand même habitué. C'est pareil avec les desserts, c'est le cliché mais les desserts portugais quand on met des œufs, on en met deux ou trois boîtes ! Parfois, il faut quinze œufs pour faire un gâteau et le sucre c'est pareil, il faut 500 grammes de sucre, c'est peu d'ingrédients mais en quantité. Un des trucs qu’elle adore et qui est dans le livre c'est tout bête mais c'est les “pão com chouriço”, quand il est encore un peu tiède c'est un régal ! Elle avait l'image du chorizo qu'on trouve en France, de mauvaise qualité au supermarché où dedans il n’y a pas de morceaux et depuis qu'elle est avec moi je lui fais découvrir des produits de qualité et ça a complètement changé sa perception du et c'est devenu un de ses petits plats qu'elle adore.

L'ambition que j'ai avec le livre aussi c'est de mettre à l'honneur et donner ses lettres de noblesse à la gastronomie portugaise parce qu'on parle toujours de la gastronomie italienne, mexicaine, indienne, espagnole mais on parle jamais de la gastronomie portugaise ou alors quand on en parle on prend des raccourcis genre “morue-porto-pasteis” c'est très bon mais il y a beaucoup plus que ça, notre terroir est très riche et il faut le connaître. C’est mon ambition c'est de faire connaître le terroir et la diversité des recettes portugaises et l'importance historique .

Le succès du livre auprès des français

Tout ça c'est c'est aussi très important pour moi et d'ailleurs je suis très content parce que au début pour être honnête je pensais que ça serait un livre qui serait plus à destination de la communauté portugaise mais j'ai été surpris de l'accueil qu'il a reçu au Portugal aussi parce que j'ai eu énormément de sollicitations et d'articles des médias portugais donc je suis très content, ils attendent avec impatience la version portugaise et on a aussi énormément de sollicitations de médias franco-français, il y a eu pas mal d'articles. J'ai eu l'occasion de passer sur France Bleu, j'ai eu l'occasion aussi de contribuer à un article de Géohistoire, je suis très content aussi de faire découvrir cette gastronomie et par la même occasion l'Histoire du Portugal et l'histoire des franco-portugais.

Comme je le disais je parle aussi de moi, de mon histoire à un public français et international parce que justement je suis très honoré d'avoir été sélectionné avec ce livre pour potentiellement gagner les Gourmands Awards, c'est le Goncourt du livre de cuisine mais à l'échelle internationale, il a été sélectionné parmi plus de 100 000 livres dans trois catégories : la catégorie francophonie, la catégorie livre d'Histoire, livre de gastronomie et culture portugaise et enfin livre des immigrations et des diasporas. Je suis dans trois catégories donc on va voir si j'arrive à gagner un des prix au moins et là ça serait vraiment la cerise sur le gâteau parce que comme je disais je sors de nulle part, j'ai fait partie d'aucune association, je ne fais pas de politique, je ne fais rien du tout donc je suis vraiment “le gars dans son coin” qui faisait des posts sur Instagram et donc là je me retrouve à à publier un livre et à être sélectionné pour un concours international. Avec de la bonne volonté, lancez-vous ! Si des gens ont des projets, des idées, comme tu l'as fait d'ailleurs, c'est magnifique l'initiative que tu as eu donc si les gens ont des idées il faut se lancer, il ne faut pas avoir peur.

J'en profite pour saluer Sandra qui est mon éditrice que vous connaissez peut-être parce qu'elle a publié aussi un livre qu’elle a écrit elle-même et qui s'appelle “l'Extraordinaire Histoire du Portugal”, c'est un livre à destination plutôt d’un public enfant mais qui marche pour tout le monde où elle retrace justement de manière illustrée l'Histoire du Portugal dans les grandes lignes. Elle m'a contacté pour ce deuxième ouvrage et là elle a publié aussi un troisième ouvrage qui est un roman. Elle s’essait à plusieurs styles mais ce que j'ai adoré avec elle c'est que j'ai eu champ libre, elle m'a fait confiance, j'ai quand même pris pas mal de liberté ne serait-ce que sur le design de la couverture, sur la mise en page, sur la qualité du papier, sur la communication, elle m’a laissé gérer ma communication de mon côté et donc toutes ces libertés c'est des libertés que j'aurais pas eu avec une maison d'édition de renom ou à plus grande échelle donc je ne regrette nullement mon choix, je suis très content d'avoir travaillé avec elle.

La communauté portugaise et la mort des anciens

Il y a une pudeur qui réside encore dans la communauté portugaise, c'est le rapport particulier à la mort que l’on a et surtout à la mort de nos grands-parents qui sont au Portugal pendant que nous sommes en France. J'en ai jamais parlé avec ma mère mais j'imagine que ça a été très douloureux pour elle. Ma mère est fille unique donc ça complique encore plus les choses parce que mes deux grands-parents étaient tout seuls au village au Portugal dans leur maison pendant que ma mère était ici. Ma grand-mère n’était pas en très bonne santé et souvent elle faisait des réflexions à ma mère pour qu'elle vienne s'occuper d'elle. Et là où c'était dur c'est que ma mère en France travaillait justement comme femme de ménage et s'occupait de personnes âgées alors que sa mère était malade au Portugal, seule. Cela n'a pas dû être une situation facile à gérer, elle n’en n’a jamais parlé, elle n’a jamais laissé transparaître mais j'imagine que c'est quand même particulièrement douloureux. Le temps passant ma grand-mère n’allait pas bien et du coup on allait au Portugal et souvent il fallait qu'on l'accompagne à l'hôpital, que l'on fasse des examens donc pendant des années c’était comme et ça s'est empiré. On a tous connu ça le moment de dire au revoir à nos grands-parents au mois d'août et qu'on dit “à l'année prochaine” et que si ça se trouve c'est vraiment la dernière fois qu'on voit nos nos grands-parents. On a toujours cette incertitude de savoir si on va les revoir l'été prochain ou aux prochaines vacances. Avec ma grand-mère, on a fait pas mal d'aller-retour parce que qu’on nous disait “ça ne va pas, il faut venir” donc on y allait en catastrophe et au final on faisait quelques examens, quelques trucs, une petite opération et on retourne à la maison. Cela a duré comme ça pas mal de temps et jusqu'à au jour où il a fallu y aller parce que c'était vraiment la fin et ça a été particulièrement douloureux. On a enterré ma grand-mère et mon grand-père est resté tout seul au village. Au bout d'un moment sa santé s'est dégradée et le pire c'est que c'était une jambe qui n'allait pas donc du coup il ne pouvait plus être autonome tout seul à la maison et il a été dans une maison de retraite dans un village à côté. Tous les étés on y allait et c'est pas beau les maisons de retraite peu importe où elles sont. On sentait quand même que la flamme dans ses yeux disparaissait, il se laissait mourir un peu. Je me souviens que je n’aimais pas y aller parce que je le voyais seulement dans son lit, il ne faisait plus grand chose. Ma mère était encore jeune donc on sait très bien que jamais elle ne serait retournée au Portugal pour s'occuper d'eux parce que notre vie était en France, elle ne pouvait pas laisser ses enfants en France et aller là-bas s'occuper d'eux. C'est une situation qui devait être très difficile à vivre jusqu'à ce que mon grand-père meurt. On y a tous été pour l'enterrer et donc au final je me dis c'est quand même triste pour ma mère.

Quand elle était jeune, mes grands-parents ont fait leur expérience en France et elle était restée avec mes arrières grands parents donc elle n’a pas vraiment connu ses parents. Quand ses parents sont retournés au Portugal, ils ont repassé quelques années ensemble mais après ma mère a émigré en France. On se voyait en août et en avril, au téléphone un petit peu parce que c'était extrêmement cher d'appeler le Portugal. Voir ses parents mourir sans pouvoir rien faire ça doit être quand même chose quelque chose de très compliqué et j'imagine que beaucoup de monde doit vivre ça. Comment faire pour que nos grands-parents puissent partir dignement ?

La transmission des origines portugaises de la 2nde génération

En tant que jeune papa c'est pour moi très important que mon fils baigne dans la Culture portugaise. Ce ne sera jamais autant que moi mais pour moi c’est primordial de maintenir ce lien avec le Portugal. Pour le moment je vais lui faire sa nationalité portugaise mais l'administration c'est très compliqué, tout prend du retard et à chaque fois il manque un papier ! Je deviens fou avec le consulat, ça va se faire mais ça se fera plus tard que prévu. Il aura la nationalité portugaise, on n'est jamais à l'abri que les lois changent d'ici quelques années et que la double nationalité ne soit plus possible. Il faut aussi que je parle portugais mais sincèrement je parle français pour le moment. Par contre mes parents eux, ils n’ont pas le choix ils doivent parler en portugais à mon fils parce que je veux que son oreille s'habitue pour que plus tard il puisse le parler. Je souhaiterais qu'il apprenne le portugais et j'espère qu'il pourra l’apprendre dans le parcours scolaire classique, dans le public et qu’il n’ait pas besoin de faire du privé comme moi ou que ce soit “la croix et la bannière” pour qu'il l’apprenne. J'aimerais idéalement que cela se fasse normalement comme s'il apprenait l'espagnol ou l'allemand.

En plus nous sommes quand même nombreux à être intégrés en France et en couples mixtes, on est marié avec des français ou des françaises; je vais me marier prochainement justement avec une personne qui est française. J’ai de la chance qu'elle ne soit pas du tout réfractaire à ça, elle adore le Portugal, ça ne la dérange pas d'y aller régulièrement, elle baigne aussi dans cette culture portugaise et elle essaie d'apprendre le portugais. J'espère qu'un jour on ira vivre là-bas, elle le sait qu’un jour ou l'autre ça va me prendre donc on ira sûrement vivre là-bas ou entre les deux pays au moins. Il faut trouver une solution professionnelle et ce n'est pas si facile que ça… Le Portugal fera toujours partie de ma vie et donc par conséquent de sa vie à elle aussi. Je ne ferai pas comme mes parents et je l’emmènerai visiter des trucs partout dans le Portugal pour vraiment qu'il connaisse ce pays !

 
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